Présentation,
Il aura fallu sa disparition pour que me revienne que c'est à Joseph, le compagnon de ma jeunesse, que je devais ma première guitare. Un présent inestimable pour affronter la modernité quand déferlait sur nos têtes rurales la folle exubérance des groupes anglais qui nous forçaient à bouger nos corps empruntés. À quoi nous n'avions pas été préparés. La bande-son de notre enfance était rudimentaire : les cloches de l'église, le chant des coqs, et derrière le mur du jardin les seules notes d'un piano sous les doigts d'Émile. Cette pauvreté musicale était d'autant plus étonnante que nous venions d'une famille de musiciens. Ma mère qui dans le souvenir de sa soeur jouait si bien, pourquoi nous avait-elle privés de musique quand on apprenait qu'un naufragé volontaire avait dû son salut aux partitions de Bach embarquées dans son canot ? C'est ainsi que je mis les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu, jouant mal de plusieurs instruments, courant les routes, une guitare en bandoulière, sommant une charmante vieille dame de me donner des cours de piano, reprenant dans un anglais approximatif les hymnes du temps, demandant au jeune homme sombre derrière l'écran de ses cheveux de mettre en refrain sa mélancolie. « Si je me plains c'est une espèce de façon de chanter », écrivait Rimbaud à sa mère, du rocher brûlé d'Aden. Voilà très précisément ce qu'il faut entendre : une espèce de façon, de chanter.
L'auteur,
Sa maîtrise de lettres en poche, Jean Rouaud exerce divers petits métiers comme pompiste, vendeur d'encyclopédies médicales... En 1978, il entre à 'Presse Océan' et rédige bientôt des papiers pour la 'une' du journal. Il monte ensuite à Paris ; il travaille tantôt dans une librairie, tantôt comme vendeur de journaux dans un kiosque. En 1990, il fait paraître son premier roman, 'Les champs d'honneur', un coup de maître puisqu'il obtient aussitôt le prix Goncourt. Marqué par la mort de son père au lendemain de Noël alors qu'il avait onze ans, puis par celle de sa mère en 1997, avant même qu'elle ait pu lire les lignes qu'il lui avait consacrées dans ses derniers romans, Jean Rouaud ressuscite au fil de ses oeuvres cette famille décimée, à l'aide de mots simples et de clins d'oeil emplis de malice et de tendresse.
Notre avis,
Une façon de chanter constitue le deuxième tome de l'autobiographie poétique dans laquelle s'est lancé Jean Rouaud.
Après avoir exploré les années post 68 dans le premier volet, Jean Rouaud se re-penche sur son enfance et adolescence à l'occasion du décès de son cousin Joseph; manière aussi de rendre un hommage posthume très appuyé et très tendre à ce cousin qui lui avait offert sa première guitare. Cet instrument l'a sauvé de son ennui et ouvert une perspective vers des horizons plus rock n roll que le clocher de l'église du trottoir d'en face !
Le récit de son passé reste émouvant et drôle mais pas toujours complaisant. On y croise les figures familiales emblématiques des récits précédents de l'auteur, avec des variantes, voire même des contradictions, et même une vérité arrangée et avouée, mais ça, c'est le privilège de l'écrivain, dans l'attente du troisième volet.
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